Choral's dream
Détails
Famille instrumentale | Musique de Chambre |
Classifications catalogue | Duos |
Nomenclature instrument | piano et orgue |
Durée totale | 00:12:00 |
Éditeur | Éditions Billaudot |
Cotage | GB7175 |
Style musical | Contemporain |
Code EAN | 9790043071754 |
Description
> Commande du Printemps des arts de Monte-Carlo
> Création le 11 mai 2001, dans la salle des Variétés (Monaco), par Claire-Marie Le Guay (piano) et Thierry Escaich (orgue)
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Piano et orgue, l’alliage n’est pas facile. Thierry Escaich connaît bien ce répertoire, pour le jouer régulièrement avec la pianiste Claire-Marie Le Guay – qui a suscité la composition de Choral’s Dream. Il en connaît également les limites : la distance qui souvent sépare la tribune d’orgue du piano, et exige des interprètes une attention décuplée aux intentions et aux respirations d’un partenaire que bien souvent ils ne voient pas ; et surtout le caractère antagoniste de deux instruments qu’a priori tout sépare. « Chacun, explique le compositeur, est à soi un orchestre, mais à sa manière : l’un avec sa richesse de couleurs et de plans, l’autre avec sa plénitude sonore et sa souplesse. Pour les allier, il faut les faire aller l’un vers l’autre, trouver des convergences. »
Jusque-là, les rares œuvres écrites pour cette formation se déclinaient en deux grandes espèces : les partitions de Widor, Franck ou Saint-Saëns, destinées à des orgues de salon, voire à des harmoniums, où un instrument est souvent cantonné à l’accompagnement de l’autre ; et celles plus récentes de Langlais, Dupré ou Guillou, pensées pour des orgues puissants et conçues plutôt comme des combats de titans. Aucune de ces deux perspectives ne séduisait Thierry Escaich. Il a donc cherché une voie propre, dans la continuité des recherches de fusion entre les timbres qu’il menait, depuis quelques années, dans ses pièces avec orgue mais plus généralement dans toute son œuvre – avec de magnifiques sommets dans l’oratorio Le Dernier Évangile (1999) et la Chaconne pour orchestre (2000).
Choral’s Dream se veut résolument symphonique, dans le sens où la formation instrumentale se plie au propos – et non le contraire – et où les frères ennemis sont appelés à joindre leurs forces, à se sublimer l’un l’autre, au lieu de s’assujettir ou de s’opposer. Le piano anime le son inerte de l’orgue, par ses arpèges et ses traits perlés. À l’inverse, l’orgue prolonge les résonances du piano, l’enveloppe de son large spectre grâce à ses jeux les plus aigus et les plus graves ; ses jeux de fonds et ondulants apportent assise et moelleux aux sonorités plus percussives du piano.
La fusion entre les deux instruments s’illustre dès les premières mesures, où les harmonies de l’orgue se glissent dans le halo sonore du piano et en émergent tour à tour. Le climat de l’œuvre est d’emblée instauré : onirique, nimbé d’une douce lumière. Le premier thème entendu, dans ce « Rêve de choral », est Aus tiefer Not schrei ich zu Dir : l’équivalent luthérien du De profundis catholique, à savoir le Psaume CXXX, une supplique angoissée du croyant à son créateur (« Des profondeurs je crie vers toi, Seigneur… »). Mais, présenté ainsi dans l’aigu du piano, baigné de pédale, ce thème est dépossédé de son caractère tragique ; le compositeur l’utilise en effet non pour son contenu dramatique, mais pour les perspectives musicales qu’offre sa mélodie. Deux motifs s’en dégagent : le saut de quinte initial, descendant puis remontant au point de départ (ré – sol – ré), et la figure sinueuse qui s’ensuit (ré – mi bémol – ré – do – ré). Chacun de ces motifs va irriguer l’œuvre à sa manière, sans discontinuer, jusqu’aux mesures finales. L’aller et retour de quinte génère les premiers accords d’orgue ; il viendra régulièrement ponctuer le discours, rêveur ou brutal, resserré ou dilaté, à l’unisson ou porté par des accords, mais toujours reconnaissable. Quant à la figure sinueuse, elle prend son envol, se transforme en volutes de croches, prend des accents de danse légère, explose en bribes convulsives, devient cavalcade, vagues impétueuses, houles d’accords, ostinato tempétueux du pédalier, arpèges extatiques…
Entre-temps, un autre choral luthérien est apparu. Au premier tiers de l’œuvre, la voix rauque du Cromorne a entonné Herzliebster Jesu, was hast du verbrochen ? (Jésus aimé de tout cœur, quel mal as-tu commis ?), un choral que Bach a harmonisé sous plusieurs visages dans ses Passions et à l’orgue. Thierry Escaich, qui l’a exploré dans de nombreuses improvisations, en livre ici une version tourmentée : recto tono insistant, rythme haché, fioritures nerveuses. Les éléments issus de ce thème entrent à leur tour dans la ronde, se confrontent aux motifs initiaux dans une polyphonie complexe et de plus en plus véhémente où, derrière l’aspect jaillissant et exalté, rien n’est laissé au hasard.
Comme souvent chez Escaich, le rêve vire au cauchemar ; la détresse originelle d’Aus tiefer Not, longtemps tenue à distance, finit par éclater. Mais ici, au contraire de tant de ses œuvres, l’auteur va trouver l’apaisement. Un motif tournoyant du piano, dans le suraigu, sonne l’armistice ; il se dégonfle peu à peu, tandis que la flûte aiguë de l’orgue (Flûte 4’) entre sur la pointe des pieds et l’enveloppe progressivement, jusqu’à une superbe modulation que souligne le tremblement d’un long accord sur la Voix céleste (jeu aux effets ondulants). Dans cette lueur irréelle, l’orgue énonce par deux fois Aus tiefer Not, totalement désamorcé. Puis la lumière se met à scintiller, sous l’effet du jeu le plus aigu de l’orgue (Piccolo 1’). On entend alors, dans l’aigu du pédalier (Flûte 4’), le troisième thème de choral : Wie schön leuchtet der Morgenstern (« Comme est belle la lumière de l’étoile du matin ») ; ses contours francs d’accord parfait majeur rassurent définitivement l’auditeur, qui glisse doucement, en sa compagnie, vers les échos apaisés et ultimes des motifs entendus précédemment.
(Claire Delamarche)